Pour des putains de droits ! (contribution 6/6)

Pour que les féministes soutiennent les luttes des putes :

contre la criminalisation des prostituées, pour des putains de droits!

Un débat figé et inefficace

 

Les débats sur la prostitution se focalisent souvent autour de cette question cruciale : peut-il y avoir une prostitution réellement consentie ? Question cruciale, certes, mais qui nous semble parfois ne pas être la question prioritaire. Difficile à démontrer, le consentement est peu pertinent d’un point de vue de l’action et des revendications que l’on peut porter. Ce clivage crispe le débat sur la disparition ou non de la prostitution, au lieu de se pencher sur ses conditions actuelles et les solutions matérielles. Les unes défendent une vision ultra-victimisante des putes comme des esclaves aliénées, les autres, une vision ultra-libérale du « libre choix » dans une société qui ne permet à personne d’être vraiment libre. Quel travailleur est libre de choisir son métier et son contrat ? Quel fils de chômeur est libre d’aller à l’université ? Cette interrogation éthique et philosophique ne permet pas, à notre sens, d’apporter des solutions concrètes et efficaces aux putes, dont la situation est pour beaucoup extrêmement difficile (violences, clandestinité, exploitation, etc.).

 

C’est pourquoi nous proposons ici de mettre cette question de côté, pour réfléchir à une action utile sur le terrain. Nous proposons, en tant que féministes, ce que toutes les féministes ont toujours fait pour toutes les autres femmes : un combat pour gagner des droits. Qu’on soit abolitionniste ou pas, l’urgence est pour nous de soutenir les putes dans leurs luttes pour l’amélioration de leurs conditions.

 

Prendre les putes au sérieux

 

Le combat féministe a toujours été, du moins comme nous le comprenons, un combat pour libérer la parole des femmes et leur capacité à agir en tant qu’individus autonomes. Pourtant, dès qu’on parle de prostitution, tout s’effondre. Activité condamnée de toutes parts, pour des raisons parfois valables, les personnes la pratiquant se retrouvent automatiquement privées de parole. Alors même qu’elles sont nombreuses, et de plus en plus organisées…

 

Nous n’acceptons pas que les « hommes », maris, pères ou frères, parlent pour nous, décident pour nous de ce qui est bien ou pas. Qu’ils nous dictent notre conduite, nous disent si l’on doit ou pas travailler, porter ou pas un voile, avoir des enfants ou perdre du poids. Nous revendiquons la possibilité d’agir, certes en tant que dominées que nous sommes dans le système patriarcal, mais d’agir quand même. De nous organiser en associations féministes, en commissions de femmes dans les partis, en votant par nous-mêmes et non à travers notre conjoint. C’est pour ça que le combat féministe est éminemment ancré à gauche : donner la parole aux subalternes, aux opprimé-e-s, aux dominé-e-s, et lutter AVEC ELLES ET EUX pour leur émancipation.

 

La famille et le salariat sont des sphères d’oppression. Ce sont pourtant des sphères au sein desquelles nous développons des revendications, au sein desquelles nous luttons pour des droits qui les rendraient moins, ou plus du tout, oppressives. Personne ne milite aujourd’hui pour abolir la famille. Nous luttons pour la possibilité de divorcer, de gérer son argent, de garder son nom, d’être protégée contre les violences.

 

Pour la prostitution, ces principes doivent rester les mêmes. Les putes ont des revendications, nous devons les écouter car personne ne peut prétendre savoir mieux que les premières concernées ce qui est bon ou non pour elles. Nous devons soutenir et aider leur démarche d’auto-organisation (notamment la constitution de syndicat) car ce sont des femmes, et que leur combat c’est le combat des féministes et de la gauche. Redonnons-leur la place qu’elles demandent dans le débat public, laissons-les décider de la manière dont elles veulent organiser leur activité. Ne tombons pas, comme trop souvent nous l’avons fait, dans un paternalisme condescendant. Oui, ce sont des victimes du système patriarcal. Nous le sommes toutes, femmes sous-payées, battues par nos maris, femmes au foyer, sans papiers, sans sexualité épanouie. Mais nous nous battons pour être entendues, pour que notre condition soit améliorée et nos revendications appliquées. Qui peut prétendre être suffisamment libérée de la domination masculine pour parler à la place de toutes les autres femmes ?

 

Notre lutte pour l’émancipation passe par la capacité à décider pour soi-même, et cela n’est pas concevable sans une lutte pour améliorer nos conditions matérielles d’existence. Plus les putes auront des conditions acceptables, plus elles auront le pouvoir de décider, y compris celui de décider de faire autre chose.

 

La criminalisation des putes : hypocrisie, contre-productivité et recul des droits

 

Les dernières lois votées concernant la prostitution criminalisent et répriment les prostituées. De façon directe, avec la loi de 2003 instaurant l’interdiction du racolage passif et les multiples arrêtés municipaux anti-prostitution décidés par les maires (pour que leur ville ait l’air plus propre?), ou indirecte, avec le projet de loi déposé à l’Assemblée nationale le 7 décembre 2011 en faveur de la pénalisation des clients (peine maximale de deux mois de prison et de 3750 euros d’amende). Cette démarche sécuritaire nous semble catastrophique à tous les niveaux.

 

Fragiliser davantage les putes

 

Criminaliser les putes (et non la prostitution) crée l’inverse de ce qui est souhaité : à la place de « protéger » les prostituées, on les invisibilise et donc les précarise. La répression ne fait pas disparaître la prostitution mais rend son exercice beaucoup plus difficile et dangereux. Les conséquences sont désastreuses tant pour la santé, l’intégrité physique que pour l’autonomie des prostituées. En effet, les putes se cachent pour ne pas être visibles par la police. Elles exercent leur activité dans des lieux reculés, et donc peu accessibles aux associations de prévention et de soutien, souvent seules,  avec une moindre solidarité entre collègues.

 

Dans des conditions de clandestinité et de précarité, le rapport de force penche nettement en faveur des clients. Imaginez la pression que subissent alors les putes: « Je t’accorde la faveur de bosser, de gagner de l’argent, alors t’as intérêt à fermer ta gueule et à faire ce que je veux». En clair : baisse des tarifs, rapports sans préservatifs, violences en tout genre… Enfin, la criminalisation accentue la stigmatisation dont sont déjà victimes à outrance les prostituées, et qui alimente évidemment souffrance et exploitation.

 

Ne pas donner les moyens aux putes de sortir de la prostitution si elles le souhaitent

 

La logique répressive mise en place ces dernières années, outre qu’elle rend les prostituées extrêmement vulnérables, n’a absolument aucune efficacité en ce qui concerne la lutte contre le système prostitutionnel. L’interdiction du racolage passif ainsi que la pénalisation des clients font que les putes qui en ont les moyens, c’est-à-dire qui maitrisent et ont internet, qui peuvent payer des annonces sur le net et qui sont propriétaires de leur appartement (une personne qui loue à une prostituée est considéré comme un proxénète), passent par internet, avec des pseudo sites de massage ou d’escort, et travaillent chez elles. Tandis que les autres, les plus précarisées, travaillent dans la rue, avec des clients qu’elles refusaient avant.

 

L’hypocrisie de ces lois consiste, entre autre, à continuer à fiscaliser les revenus des putes, sans pour autant leur accorder de vrais droits sociaux (qui sont censés aller de pair avec le prélèvement des impôts, non?)… Et on nous parle de volonté de faire disparaître la prostitution? Le comble réside sans doute dans le fait de mettre en route une machine répressive sans assurer une possible reconversion des putes. En effet, aucun moyen n’est prévu pour aider en ce sens… Si on se contente de supprimer leur source de revenu et de rendre leur activité plus difficile, sans aucun moyen de formation et reconversion, le résultat est vite vu : précarité croissante. Qui peut croire que cela aidera celles qui le souhaitent à sortir de la prostitution ?

 

Ne pas combattre le proxénétisme, au contraire

 

Les lois votées récemment ne sont donc en rien des instruments pour combattre le proxénétisme et la traite des femmes. Aucun fond n’a été débloqué pour que les services concernés puissent effectivement enrayer la mécanique d’exploitation des putes par des macs. Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats, est très sceptique vis-à-vis du projet de loi de pénalisation des clients, comme la majorité des magistrats et policiers semble t-il. Dans un article du 29/12/11 dans Libération http://www.liberation.fr/recherche/?q=prostitution «L’urgence, c’est de démanteler les réseaux, alors donnons des moyens aux Jirs (Juridictions inter régionales spécialisées dans la criminalité organisée) ». Un magistrat d’une Jirs confirme : « La pénalisation du client ne nous apportera rien. Cela risque même de nous gêner : si les clients se mettent à se cacher, à aller plus souvent dans des maisons ou des appartement, il sera plus difficile de remonter les réseaux. Nos enquêtes se basent sur la surveillance de rue. »

 

Au contraire en effet, comme la prostitution devient très difficile à exercer, les putes se tournent davantage vers des macs, qui organisent leur activité dans la clandestinité… et selon une parfaite exploitation.

 

Enfin, comment le gouvernement ose t-il affirmer qu’il lutte contre la traite des femmes, quand justement ces lois répressives permettent d’expulser les femmes sans-papiers qui en sont les premières victimes?

 

Des revendications a minima pour les féministes

Face à cette hypocrisie dangereuse, nous pensons que les féministes doivent se mettre d’accord a minima sur la question, en luttant contre la criminalisation des putes.

 

A l’image du Planning Familial http://www.planning-familial.org/articles/le-planning-et-la-prostitution-00389, nous souhaitons :

 

  • ·    Dénoncer les effets pervers de politiques répressives et demander l’abrogation de la loi LSI (art225-10-1)
  • ·    Refuser la pénalisation des personnes en situation de prostitution et la criminalisation de l’activité et des clients.
  • ·    Dénoncer les conditions d’injustice économique croissante, et spécifiquement les écarts entre riches et pauvres, nord et sud,  qui ont un impact désastreux sur les conditions de vie des  femmes, toujours en première ligne, la prostitution étant un des aspects de cette injustice économique.
  • ·    Exiger une réelle politique de démantèlement des réseaux maffieux là où ils sont identifiés.
  • ·    Refuser la discrimination envers les personnes prostituées quant à l’application des lois en matière de violences sexuelles, d’agression, de voies de fait et harcèlement.
  • ·    Revendiquer pour les personnes en situation de prostitution, l’accès aux droits sociaux qui devraient être communs à toutes et tous : la retraite, le logement, la protection sociale.
  • ·    Lutter pour que l’Etat mette en place une aide réelle pour celles qui veulent sortir du système prostitutionnel.
  • ·    Proposer des recherches et des actions avec des associations de terrain sur les questions des violences et de la santé sexuelle pour améliorer nos connaissances et nos interventions tant sur le terrain qu’au niveau politique.
  • Arrêter la politique de fermeture des frontières et accorder le droit de séjour sans conditions pour les victimes de la traite et de l’exploitation des êtres humains.


Enfin, nous pensons, avec le STRASS http://site.strass-syndicat.org/about/, qu’il est grand temps de reconnaitre le droit à l’auto-organisation aux putes, comme cela se fait dans beaucoup d’autres pays. Cela est nécessaire pour que leur voix soit entendue, que la solidarité se mette en place et que des droits soient véritablement obtenus.

 

Parce que les putes sont des femmes, des immigrées et des françaises, des sans papières et des régulières, des précaires et des bien payées, des lesbiennes et des hétéros, des indépendantes et des exploitées, nous affirmons que la lutte pour leurs droits nous concernent tout-e-s en tant que féministes, internationalistes et militant-e-s de gauche !

Nous demandons à toutes les organisations féministes de prendre la voie des putes au sérieux au lieu de les reléguer systématiquement au statut d’aliénées, afin de construire un mouvement social porteur de progrès pour elles et pour toutes les femmes.

Des putes reconnues et protégées c’est moins de violence contre les femmes, moins d’exploitation économique, moins de discrimination envers les étrangères, et plus de liberté dans l’exercice de leur activité. C’est notre combat à toutes. 

 

Sophie et Louisa

2 réflexions au sujet de « Pour des putains de droits ! (contribution 6/6) »

  1. La liste feministe NPA a transmit en demandant de bloquer ou non votre article sur la liste de discussion. j’ai opté pour la diffusion, car je suis entièrement d’accorf avec votre point de vue.

  2. Entièrement d’accord avec vous.

    Ça fait deux jours que j’en débat avec « Osez le Féminisme » mais il n’y a rien à faire, elles refusent de considérer la question ainsi ….

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