« Et alors, tu l’as niquée ou pas ? » Symptôme d’une langue sexiste.

Je baignais encore dans l’excitation de la soirée juste achevé quand un groupe de 5 jeunes hommes sont montés dans ma rame de métro, me sortant de ma torpeur béate. J’ai, comme toujours, été subitement fasciné, non pas seulement par la bouffée de testostérone qui emplit d’un coup l’atmosphère, mais aussi et surtout par cette sociabilité masculine aux codes si particuliers et aux conversations si distrayantes. Quelques plans pour la soirée, la journée de travail qui les attend demain, quelques coups de poing quand l’un d’entre eux dit que la sœur de l’autre est « bonne », quelques tentatives en représailles de chopper l’entrejambe de l’attaquant, tout cela, j’avais déjà remarqué. Un groupe de gars sympas qui s’apprêtent à passer une soirée entre potes en boîte. Typique, en somme. Là où mon attention a doublé, c’est quand ils ont commencé à parler de Cécile.

« Et alors, tu l’as niquée ou pas ? » – « Non, Cécile elle n’écarte pas facilement. » – « Ouais j’avais essayé moi aussi et ça n’avait pas marché. » – « Attends, j’vais m’en occuper moi ». Voilà à peu près ce dont je me souviens de leur conversation. Rien d’anormal à signaler par rapport à ce que l’on entend d’ordinaire dans un groupe de mecs. Pourtant, quand ils sont sortis, cette phrase résonnait dans ma tête, « alors, tu l’as niquée ou pas ? ». Perturbante, cette phrase, sans trop comprendre pourquoi. Il demande simplement à son pote s’il avait couché avec cette fille. L’idée n’est pas choquante en soi, les jeunes ont une vie sexuelle, c’est normal. Pourtant…En reformulant une deuxième fois, je me suis dit que s’il avait dit « alors, vous avez niqué ou pas ? » je n’aurais pas réagi. La voilà la réponse. Ce qui m’a gêné dans cette phrase, c’est la position dans laquelle est placé le mâle à qui elle s’adresse et la position à laquelle est reléguée d’office cette Cécile.

« Et alors, tu l’as niquée ou pas ? » traduit simplement le résultat légitime qui aurait dû se produire. Cette question fonctionne sur une rhétorique de l’évidence. Elle questionne sur ce qui aurait dû logiquement se passer et, au fond, elle met à l’épreuve la masculinité de celui à qui elle est adressée. C’est-à-dire que, dans l’ordre des choses, ce jeune homme aurait dû pouvoir coucher avec cette jeune fille. Cette question peut au fond être reformulée par : « et alors, tu as eu ton dû ou pas ? ». C’est le premier point qui en ressort, cette injonction masculine qui veut que pour être un bon mâle on « nique » Cécile. Ce qui, et c’était clair dans le groupe, installe par ailleurs une compétition entre ces garçons. On teste sa masculinité à l’aune de celui qui aura Cécile.

Ma vraie question était de savoir pourquoi il n’a pas dit « alors, vous avez niqué » ou bien « alors, elle t’a niqué ». La réponse est simple une fois encore : le mâle ne peut qu’inévitablement être assigné au rôle actif. Cet usage du « tu » au lieu du « vous » est très symptomatique. En tant que personne du singulier, elle exclut le deux, « tu » ne se réfère qu’à une personne, le mâle, et en tant que sujet du verbe. Il est le principe actif. Il prend ce qu’il a à retirer de cette jeune-fille, laquelle est quasiment effacée dans l’économie de la phrase. Elle est l’objet du verbe quand le mâle en est le sujet. Elle est principe passif. Le « vous » aurait simplement placé les deux entités présentes dans l’énoncé sur le même plan, comme dans une relation d’échange. Mettre un « tu » face à un « elle apostrophe » c’est considérer que ce « tu » a quelque chose à prendre de ce « elle ». On pourrait aller jusqu’à dire que ce « tu » en tant que sujet est subjectivant. Je passe, parce que non maitrisées, ces considérations beauvoiriennes et existentialistes autour de la subjectivation de soi par le langage. Un sujet qui ne dit pas « je » ou à qui on ne dit pas « tu », dans quelle mesure est-ce un sujet, ici sexuel ? Ou plutôt, dans quelle mesure se conçoit-il comme tel ? La femme n’est que par rapport à l’homme, en linguistique comme en matière de sexualité.

La question qui a suivi était de savoir ce qu’aurait dit un groupe de filles à leur place. En me basant seulement sur ce que j’imagine mes amies dire, je doute qu’elles disent « alors, il t’a niquée ou pas ? » , je ne suis pas sûr non plus d’un « tu l’as niqué ou pas ? ». Ce que, a priori, j’entendrais dire serait plus un « alors vous avez niqué ou pas ? ». Là où je veux en venir, c’est sur l’usage inconscient et normalisé que l’on fait du langage. Un usage qui ne place pas la femme en tant que principe actif. Au-delà de l’idée traditionnelle du langage sexiste, le « bonne » et autres, c’est la linguistique qui se teinte de sexisme. La meuf ne rentre dans le principe actif qu’accompagnée d’un gars, dans un « vous » qui les rassemble. Rien de révolutionnaire ici, mais c’est simplement que cette phrase, totalement anodine, rappelle qu’effectivement nos subjectivités sont façonnées par le langage autant que celles-ci le façonnent. Cette phrase m’a renvoyé à la symbolique du langage, qui montre, insidieusement, que l’asymétrie entre les genres demeure. Il y un « tu » pour lui mais pas pour elle parce que dans la sexualité, elle n’est pas active. Pour le dire en des termes plus percutants, le langage reflète la pénétration et la pénétration reflète le langage. Concevoir la sexualité par l’acte de pénétration, c’est inévitablement placer le mâle comme actif (il est le seul à pouvoir pénétrer), et donc lui attribuer un « tu ». Je finirai par cette même question qui me taraude toujours et à laquelle je n’ai fait que lancer des pistes de réponse possibles : mais pourquoi n’a-t-il pas dit « et alors, vous avez niqué ou pas ? » ?

Mickaël

5 réflexions au sujet de « « Et alors, tu l’as niquée ou pas ? » Symptôme d’une langue sexiste. »

  1. Je suis aussi orthofasciste que les commentateurs précédents, et il est vrai que les fautes nuisent au discours, mais alors réduire l’article à ça, franchement… « quel con le type qui a écrit », ça va pas non ? Comme dirait ma coloc, « l’orthographe, c’est bourgeois ».
    Ceci étant dit, merci pr l’article, la réflexion n’est certes pas révolutionnaire, mais c’est toujours bon à lire. Je regrette l’absence de remarque sur le « elle écarte pas facilement », qui vaut aussi son pesant de cacahouètes niveau domination et posture obligatoire imposée. Enfin bref, bon article quoi.

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